Je ne suis en tous cas pas la seule à éprouver de la crainte, puisque quelqu’un d’autre que moi a inventé ce mot : la natalophobie, c’est-à-dire l’angoisse qui accompagne Noël !
Depuis quelques années, sous l’influence des considérations écologiques, nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir un Noël plus sobre, avec moins de cadeaux et de déchets.
L’an dernier, beaucoup de gens ont secrètement apprécié le prétexte bien commode que représentait la pandémie. On pouvait alors impunément limiter les sorties et les réunions de famille et commander ses cadeaux sur internet. Mais maintenant que cette excuse a perdu un peu de sa force, il faut assumer ses choix sur la « sobriété » des fêtes.
Les fêtes ne coûtent pas qu'au porte-monnaie
Et c’est peut-être le moment pour les femmes de reconsidérer le poids des fêtes sur elles. Car c’est largement sur leurs épaules que pèse la logistique : la décoration, les cadeaux, la préparation des repas… D’après une étude publiée par le Journal des femmes, «95% des Françaises gèrent seules le choix et l’achat des présents».
Et ces charges d’organisation ne sont que la partie visible de ce travail. S’y ajoute quelque chose de plus profond, cette fameuse charge émotionnelle, assumée en majorité par les femmes. « Ai-je assez préservé l’esprit de Noël ? Les cadeaux sont-ils suffisants ? Comment gérer les tensions familiales liées aux fêtes ? » On ne peut pas être partout mais le sentiment de culpabilité, lui, a un don d’ubiquité, et donne l’impression de ne jamais en faire “assez”.
N’oublions pas aussi que la charge des fêtes se dédouble dans la sphère professionnelle, où les femmes gèrent majoritairement la décoration, les cadeaux et le bien-être affectif des autres…
Si l’on tient compte de toutes ses facettes, la charge des fêtes est donc un travail énorme qu’il serait intéressant de chiffrer.
Et vous, combien de temps passez-vous à tout cela chaque année ? Ce qui est difficile à évaluer car on peine à séparer ce qui relève de la charge et ce qui relève du plaisir.
Marre de remercier le Père Noël !
Pour ce qui est de Noël, ce sont les femmes (les mères en particulier) qui font tout le boulot, mais c’est le Père Noël qu’on remercie. Tout le mérite en revient donc à un homme barbu fictif ! « Le père Noël est une femme », explique la sociologue américaine Michelle Janning. Elle fait remarquer que depuis le XIXe siècle, le Père Noël est décrit comme un artisan et un livreur exceptionnel, dont le travail manuel est essentiel au bon fonctionnement de ce rituel de fin d’année de notre monde occidental. Ses exploits sont physiques : il conduit un traîneau aérien et maîtrise une flopée de rennes volants, il transporte des sacs lourds pleins de cadeaux et il réussit à descendre et remonter des millions de cheminées en une seule nuit.
Mais l’essentiel n’est pas dans ce qui est tangible et marchand. Ce qui compte, c’est la joie, l’amour, l’effet de surprise et le sens qui s’inscrit dans les relations entretenues par les rituels de la vie. « Je veux contrôler la magie » dit Janning à propos de la constellation des tâches à accomplir en fin d’année qui « racontent l’histoire de la famille». Cette « magie », c’est celle d’un contrôle domestique assumé majoritairement par les femmes dans les couples hétérosexuels. Celles-ci éprouvent des difficultés à déléguer car elles sont persuadées (parfois à juste titre) que ce travail essentiel ne sera pas fait correctement par leur conjoint.
“ Laissons tomber les obligations et les to-do listes pour nous concentrer sur ce que ces échanges ont de plus beau "
Voilà pourquoi je tente depuis quelques années de rendre ces fêtes plus sobres. Il y a des raisons écologiques que je peux mettre en avant. Mais en réalité, c’est surtout que je n’ai pas (plus) envie d’assumer ce travail toute seule. Je ne fais pas partie de ces personnes qui aiment décorer le sapin et fréquenter les magasins bondés. Depuis quelques années, je fais la « grève du sapin », c’est ma manière de rejeter la pression du Noël parfait qui nous prend tant d’énergie. En revanche, je choisis de passer plus de temps avec mes enfants à écouter de la musique, regarder des films et faire des bons gâteaux.
Tentons de revenir aux valeurs qui accompagnent Noël, loin des magasins bondés et des publicités criardes ! Alors que les nuits sont longues et les jours déjà froids, Noël est un refuge familial et amical, un moment de don et d’échanges qui renforcent les liens qui nous unissent aux autres. Laissons tomber les obligations et les to-do listes pour nous concentrer sur ce que ces échanges ont de plus beau.
Refuser la charge émotionnelle des fêtes, ce n’est pas la solution parfaite. Il faudrait que ce temps passé à réchauffer le foyer et renforcer les liens affectifs entre individus d’une même tribu soit mieux valorisé et partagé équitablement entre femmes et hommes. Peut-être qu’en en faisant un moment plus sélectif et moins parfait, on rendra plus visibles les émotions qui comptent vraiment ?
Illustration: un grand merci à Louise de Lavilletlesnuages