Je suis une geek dans l’âme, j’aime tester les innovations, je suis du genre à acheter la fourchette connectée dès sa sortie sur le marché ! J’ai toujours été passionnée par la technologie, le digital, et la place des femmes dans cet univers. L’entité de 15 000 salariés chez Shell, dont je gérais les ressources humaines, était présente dans 7 pays : je voyais qu’en Inde il y avait 70% de femmes dans notre centre IT à Bangalore, mais en France elles étaient seulement 10% !
Pourquoi ?
Je me suis alors investie dans l’association Digital Ladies & Allies et nous avons co-fondé l’association internationale Women and Girls in Tech avec BNP Paribas et l’entreprise sociale et solidaire Simplon. Notre objectif est de favoriser la mixité dans la tech. |
Une pièce en plus ou des emplois en plus ?
En 2019, j’ai quitté Shell à la faveur d’un plan de départ volontaire et grâce à mes indemnités j’ai pu envisager un projet entrepreneurial. J’avais aussi des actions de performance accumulées pendant 10 ans, ça représentait 100 000 euros. J’aurais pu décider d’acheter un appartement plus grand, mais je me suis dit que des pièces en plus, ce serait de la charge mentale en plus ! À mes yeux, il était plus intéressant d’investir pour créer de l’emploi, de contribuer à l’économie du pays et de soutenir des histoires d’entrepreneurs. Je ne voulais pas laisser cet argent dormir et j’ai décidé d’investir 10 000 euros dans 10 sociétés différentes.
Je l’ai fait toute seule, avec mon bon sens. Chez Shell, j’avais aussi présidé durant quatre ans le fonds du plan épargne entreprise des salariés. J’ai toujours été intéressée par l’économie, la production de richesses. J’avais fait un bac ES et un double cursus droit et administration économique et sociale. De par mon parcours professionnel, j’ai été amenée à regarder les bilans comptables. Pendant trois ans, j’ai été DRH des activités Europe commerciale de Shell et je participais tous les mois aux business review, y compris la partie financière. J’avais aussi suivi le programme Women Board Ready de l’Essec. Je suis donc certifiée administrateur de société. Je me suis mise à lire de façon assidue la newsletter de Jason Calacanis, un entrepreneur américain, serial investisseur. La plupart des hommes ne se forment pas pour devenir business angel !
Ma thèse d’investissement était simple : il doit obligatoirement y avoir une femme parmi les cofondateurs. Les premiers investissements, je les ai faits parce que des gens sont venus à moi ou par des projets que j’ai repérés sur Ulule et Kiss Kiss Bank Bank. Il y a trois ans, j’ai mis la mention « business angel » sur mon profil LinkedIn et depuis, je reçois des dossiers chaque semaine !
Depuis deux ans, j’ai aussi rejoint des groupes de business angels, comme Gold Diggers (qui ne réunit que des femmes), Paradise Club (mixte, il compte plus de 700 investisseurs) et Asterion Venture (qui rassemble des investisseurs prêts à soutenir les entrepreneurs qui réparent le monde).
Ces gens ont-ils besoin de mon argent ?
Je fais mes choix en fonction des équipes et des projets. À ce jour, j’ai déjà réalisé 8 investissements. L’éducation me tient particulièrement à cœur.
Le problème, c’est que ce sujet n’intéresse pas les investisseurs. En 2022, l’investissement dans l’éducation scolaire en France représentait 0,3% du montant total investi dans les start-up, selon Ernst & Young. 70% des investissements dans notre pays sont faits dans des logiciels SaaS pour les entreprises !
Je l’expérimente moi-même en tant qu’entrepreneure, avec ma société Soft Kids, qui accompagne les enfants pour le développement de compétences socio-comportementales dans un monde tout numérique. 17 business angels ont investi dans mon projet et parmi eux, seulement 4 hommes dont 3 qui sont des amis ! Je mène actuellement une levée en crowdequity auprès du grand public sur Sowefund qui se clôturera fin juin. À ce jour, je compte parmi mes actionnaires 90% de femmes qui ont mis en moyenne 1500 euros et 10% d’hommes qui ont mis en moyenne 5000 euros.
Les investisseurs masculins ne s’intéressent pas à l’éducation pour les 3-18 ans. Or les femmes qui investissent ont moins d’argent : en moyenne, les business angels femmes investissent des montants 30 fois moins élevés que les hommes !
L’investissement en France est très moutonnier, tout le monde investit sur les mêmes profils : des jeunes issus de grandes écoles qui promettent de casser la baraque.
Moi, la seule question que je me pose finalement en tant que business angel, c’est : ces gens ont-ils besoin de mon argent ? S’ils en trouvent facilement, ils n’ont pas besoin de moi.
Mon impact : former la nouvelle génération au numérique
C’est pourquoi j’ai investi dans Chut !. C’est un magazine trimestriel lancé en 2019 qui explore l’impact du numérique et des technologies dans nos vies, dans toutes ses dimensions. Il veut aussi valoriser la place et la parole des femmes dans la tech. Il a d’ailleurs été fondé par deux femmes. Un an et demi après la publication du premier numéro, en 2021, elles ont fait une levée de fonds pour développer des activités de formation et d’éducation au numérique pour les enfants et les adolescents. C’est là que je suis devenue investisseuse dans la société. Nous sommes 13 business angels dans cette entreprise et j’ai mis 10 000 euros.
Leur projet était de faire des magazines pour les collèges et les lycées, des événements dans les écoles, des podcasts et cela rejoignait mes préoccupations. Je pense qu’il est essentiel de former la nouvelle génération au numérique. Nos jeunes savent créer un compte sur n’importe quel réseau social mais ils ne sont pas formés à maîtriser ces outils, ils ne savent pas comment fonctionne leur cerveau face à l’infobésité.
Ce qui m’a convaincue pour investir dans Chut !, ce sont trois éléments. D’abord l’équipe : ils sont trois, Aurore Bisicchia, Sophie Comte et Matteo Bisicchia, et très complémentaires en termes de compétences, entre la création de produit et la vente ; il y a une bonne dynamique entre eux. Ensuite, le produit : ce qu’ils font, on ne le voit pas ailleurs, ils se démarquent par leur créativité dans un environnement très concurrentiel. Enfin, le marché : le magazine n’est que la partie émergée de l’activité, il y a un véritable intérêt pour les grands groupes qui vont par exemple acheter le podcast pour expliquer à leurs salariés différents concepts de l’innovation numérique. Last but not least, l’impact : pour moi, c’est obligatoire. |
Il faut être patient
Je suis mes investissements, en lisant les reportings, en participant à des brainstormings, j’ouvre mon carnet d’adresses, je partage une idée, des opinions. J’attends un retour sur investissement entre 7 à 10 ans. Il faut être patient quand on investit dans l’impact. Si je perds, ce n’est pas grave, je me referai. J’ai parmi mes investissements une entreprise qui ne va pas très bien, elle va peut-être fermer. Mais j’avais investi en BSA-AIR (Bon de souscription d’actions – Accord d’investissement rapide) avec une décote de 80% – ça aurait pu être un excellent investissement. Le BSA-air permet de lever des fonds rapidement sans recours à un pacte d’actionnaires et une procédure longue, en échange d’une décote. Quand on transforme le BSA-air en actions, si ça marche, le titre a déjà pris de la valeur. En revanche, on ne peut pas prétendre à la défiscalisation de 18% accessible pour tout investissement en numéraire au capital d’une PME.
Pour moi, c’est un scandale de dire aux gens de continuer à épargner. Oui, il faut disposer d’une épargne de précaution* en cas de coup dur mais à quoi ça sert d’avoir en plus des milliers d’euros qui dorment sur un compte « au cas où » ?
*Il est traditionnellement recommandé d’avoir une épargne de précaution équivalant à trois à six mois de salaire.
Illustrations : un grand merci à Caroline Gaujour |