Mais cette négligence peut coûter cher. De nombreux comptes bancaires sont en déshérence en France, notamment les comptes d’épargne salariale ouverts par les entreprises pour leurs salariés : les bénéficiaires ignorent parfois qu’ils en sont les détenteurs ou les oublient. En 2022, 6,7 milliards d’euros étaient en attente d’être réclamés par leurs bénéficiaires à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), qui récupère les sommes quand les comptes sont inactifs pendant 10 ans. Après vingt ans sans réclamation à la CDC, les sommes sont reversées à l’Etat définitivement. Autrement dit, cet argent vous est dû mais par manque d’information ou de gestion, il peut sortir de vos poches.
Il se pourrait donc que vos proches ou vous-même ayez des comptes d’épargne salariale dont vous ignorez l’existence ou dont vous ne vous occupez pas. Voici comment vérifier que vous n’avez pas oublié des comptes qui vous appartiennent et comment les gérer simplement, car ils peuvent rapporter gros.
1 détenteur d’épargne salariale sur 3 estime que le dispositif n’est pas clair
Au 31 décembre 2022, 12 millions de salariés sur 30 millions d’actifs disposaient en France d’un compte d’épargne salariale, soit plus d’1 actif sur 3, pour un montant moyen de 13.500€ par salarié, d’après l’enquête de l’Association française de gestion (AFG). Toujours selon l’AFG, 367 000 entreprises proposent un dispositif d’épargne salariale à leurs employés, un chiffre en augmentation. Cet avantage qui fait partie du « package de rémunération » est plus fréquent dans les entreprises qui offrent les salaires les plus élevés et emploient le plus grand nombre de salariés, mais ils progressent aussi dans les petites sociétés (+ 6,1% pour celles qui ont moins de 50 salariés). Les plans d’épargne salariale et d’épargne retraite d’entreprise ont atteint un niveau d’encours historique en 2023, soit 180 milliards d’euros d’encours.
Mais d’après une étude réalisée par OpinionWay pour les organisateurs de la Semaine de l’épargne salariale, un tiers des détenteurs d’épargne salariale estiment que c’est un dispositif qui n’est pas clair ou pas facile à comprendre. Alors pour s’y retrouver, commençons par rappeler ses objectifs.
La participation est un mécanisme de redistribution des bénéfices de l’entreprise aux salariés, obligatoire dans les entreprises dont l’effectif est de 50 personnes ou plus. La mesure, adoptée par ordonnance en 1959, faisait partie de la politique sociale du Général de Gaulle qui voulait construire une troisième voie entre le capitalisme, qui « porte en lui-même les motifs d’une insatisfaction massive et perpétuelle » et le communisme, qui « comporte une tyrannie odieuse imposée à la personne et plonge la vie dans l’atmosphère lugubre du totalitarisme » écrivait-il dans Mémoires d’espoir. Le renouveau.
L’intéressement est facultatif et se distingue de la participation par son fondement : c’est une prime qui sert à motiver et à récompenser les équipes. Il repose sur les performances et il est déclenché lorsque les objectifs définis en amont sont atteints : ils peuvent être financiers (hausse du chiffre d’affaires ou du nombre de clients par exemple) ou extra-financiers (satisfaction des clients, respect des critères de Responsabilité Sociétale des Entreprises).
2 détenteurs d’épargne salariale sur 3 expriment un besoin d’accompagnement
Toujours d’après l’étude OpinionWay, plus de la moitié des détenteurs d’épargne salariale déclarent ne pas bien connaître les types de fonds dans lesquels investir et près des deux tiers expriment un besoin d’accompagnement. Alors comment ça marche ?
Le salarié choisit s’il veut toucher les sommes de la participation et de l’intéressement immédiatement ou s’il préfère les placer sur un plan d’épargne salariale, c’est-à-dire un plan d’épargne d’entreprise (PEE) ou un Plan d’Epargne Retraite Collectif (PER Collectif ou PERCO). S’il les touche tout de suite, elles seront imposées comme des salaires. S’il les place, elles seront exonérées d’impôt sur le revenu et de cotisations salariales, hors CSG et CRDS soit 9,7%. Lors du retrait, les plus-values générées par ces placements seront soumises à l’ensemble des prélèvements sociaux, soit 17,2%.
Le déblocage des fonds peut être effectué à partir de 5 ans pour un PEE, et n’a lieu qu’à la retraite quand il s’agit d’un plan d’épargne retraite. Il existe cependant de nombreux cas de déblocage anticipé qui correspondent à d’heureux événements ou à des accidents de la vie, à lire dans le + ViveS ci-dessous. Pour préserver le pouvoir d’achat des Français, une mesure exceptionnelle de déblocage du PEE avait même été autorisée entre août et décembre 2022, en raison de l’inflation.
Mon ancienne entreprise m’avait également ouvert un contrat de retraite « article 83 », remplacé aujourd’hui par le Plan d’Epargne Retraite Obligatoire (PERO). C’est ce fameux compte que j’avais oublié et que j’ai redécouvert récemment à la faveur d’un courrier… Il est alimenté par des cotisations patronales et salariales prélevées directement sur le salaire. Autant dire que cela peut passer inaperçu si l’on ne regarde pas sa fiche de paie en détail. Il s’agit d’une surcomplémentaire retraite.
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai travaillé dans plusieurs entreprises. C’est la raison pour laquelle, en plus de ma banque habituelle, je me retrouve avec trois comptes d’épargne salariale dans trois banques différentes. Je reçois donc les relevés de… quatre banques différentes ! Pas toujours simple de s’y retrouver.
Votre argent est placé et c’est votre employeur qui s’occupe de tout
L’épargne salariale est intéressante car votre argent est placé et c’est votre employeur qui s’occupe de tout : il crée les comptes pour vous et c’est lui qui paie les frais de gestion administrative (mise à disposition du compte, opérations courantes, relevés d’informations, accès à une plateforme téléphonique ou web) tant que vous êtes salarié de l’entreprise.
L’exonération fiscale décrite précédemment est l’un des autres avantages des plans d’épargne salariale. L’autre avantage, c’est l’abondement, qui est facultatif pour l’employeur. Il peut vous inciter à effectuer des versements volontaires supplémentaires sur ces comptes : si vous le faites, il surenchérit en complétant vos dépôts à proportion de ce que vous avez versé. Prenons un exemple : votre entreprise a fixé un taux d’abondement de 200% pour les versements sur le PEE. Si vous versez 1 000 €, votre entreprise complètera votre épargne d’un abondement de 2 000 €.
De nombreux salariés choisissent par défaut le plus simple et sécurisé, mais ça rapporte peu
Pour placer l’argent de vos comptes d’épargne salariale, votre entreprise vous propose plusieurs supports. Il peut y avoir des Fonds Communs de Placement d’Entreprise (FCPE), des actions de Société d’investissement à capital variable (SICAV) ou des actions de votre entreprise. Sur votre compte d’épargne, vous verrez qu’ils sont classés selon leurs niveaux de risque (sécurisé, équilibré ou dynamique, du moins risqué au plus risqué) et de rendement moyen. Vous pourrez aussi voir les courbes d’évolution de chaque fonds sur plusieurs années, en baisse, en stagnation ou en augmentation. L’important, ce ne sont pas les baisses ponctuelles mais que la tendance globale soit à la hausse.
« C’est bien le seul investissement à se décider devant la machine à café, en écoutant les conseils des collègues » déplore Sébastien d’Ornano, fondateur de la fintech Yomoni, dans le magazine Capital. A défaut de conseils, de nombreux salariés choisissent en effet le plus simple et sécurisé, mais qui rapporte peu, c’est-à-dire les fonds monétaires. Fin 2018, un quart de l’épargne salariale était placé sur ces fonds. S’ils peuvent suffire pour immobiliser des sommes en attente de déblocage sur une courte période (moins de cinq ans), cette catégorie de fonds s’est dépréciée (0,50% de rendement en 2022 et depuis plusieurs années, cependant une nouvelle hausse se dessine) et a tendance à rogner le capital investi, selon l’analyse du magazine Capital. C’est la raison pour laquelle l’argent de mon PERCO ne rapporte plus rien depuis 2018.
Que faire ? Vous devez choisir en fonction du temps que vous avez devant vous, c’est-à-dire votre horizon de placement, et des risques que vous êtes prêts à prendre. Plus il y a d’actions dans un fonds, plus c’est risqué mais plus c’est potentiellement rémunérateur. Si vous envisagez un retrait du capital dans moins de cinq ans, il vaut mieux choisir des fonds équilibrés ou sécurisés, c’est-à-dire peu risqués.
En revanche, si vous avez cinq ans ou plus devant vous, vous pouvez choisir parmi vos placements des fonds actions, et diversifier c’est-à-dire placer votre argent sur des fonds différents pour lisser le risque. C’est mon cas concernant mon PERCO : j’ai 45 ans et je ne retirerai mon argent que dans une vingtaine d’années. J’ai donc largement le temps de prendre des risques en misant sur différents fonds actions qui sont plus volatiles (ils connaissent des baisses et des hausses) mais rapportent sur le long terme.
Le plus difficile, ce n’est pas de comprendre les produits mais d’y consacrer du temps
Ne vous découragez pas ! Le plus difficile, ce n’est pas de comprendre les produits car les informations sont accessibles sur votre compte d’épargne salariale et sont tout à fait compréhensibles, et vous pouvez contacter les conseillers au numéro joint. La clé, c’est d’y consacrer du temps ! Comme l’explique ce site de gestion de patrimoine, « votre gain dépendra essentiellement des supports choisis, de la façon dont les sommes seront réparties entre les différents supports et de la qualité de suivi dans le temps durant l’ensemble de vie du placement ».
Il faut donc regarder régulièrement vos comptes, plusieurs fois par an, et observer l’évolution des fonds que vous avez choisis. Si certains sont en baisse ou stagnent depuis trop longtemps, il faut réajuster vos choix de placement : c’est ce qu’on appelle “l’arbitrage”. Vous pouvez le faire à tout moment, et si vous êtes encore dans l’entreprise, celle-ci doit prendre en charge le coût de l’opération au moins une fois par an. Si vous l’avez quittée, les frais vous seront facturés dans la plupart des cas et correspondent à environ 0,5 % à 3 % du montant arbitré, à vérifier auprès de votre banque. Si vous envisagez de retirer votre argent dans moins de cinq ans, c’est là que vous pouvez déplacer votre argent sur des fonds monétaires sécurisés qui rapporteront peu mais garantiront votre capital.
Vérifiez que vous n’avez pas oublié des comptes d’épargne salariale!
Pas de panique ! Si vous pensez avoir perdu de vue certains comptes bancaires ou que vous voulez le vérifier pour un proche en vie ou décédé, vous pouvez effectuer une recherche sur deux sites :
- www.ciclade.fr permet à toute personne de vérifier si des sommes restées sur des comptes inactifs ou contrats d’assurance-vie lui reviennent. Lorsque vous cliquez sur « Lancer ma recherche », il vous faudra remplir quelques informations comme les nom et prénom, date et commune de naissance, dernière adresse connue. Depuis 2017, Ciclade a permis de restituer un demi-milliard d’euros aux demandeurs, avec un montant moyen de restitution de 2 876 €. Des sommes issues pour 66,3% de comptes bancaires, pour 25,5% de contrats d’assurance-vie et pour 8,2% de plans d’épargne entreprise.
- www.info-retraite.fr, qui vous permet de faire une simulation de la pension future que vous toucherez, comporte aussi une rubrique « Mon épargne retraite ». Un rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de 2018 a en effet montré que de nombreux assurés ne savent pas qu’ils sont bénéficiaires d’un contrat d’épargne retraite supplémentaire. La plupart des contrats en déshérence sont des contrats souscrits par les entreprises au profit de leurs salariés. Le bénéficiaire peut aussi avoir déménagé et être plus difficile à retrouver.
Alors, vérifiez au cas où… Qui sait, vous pourriez être un peu plus riche que vous ne le pensez !
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow