Rapide état des lieux : en France, le congé maternité est de 16 semaines au premier enfant (six semaines avant la naissance, dix semaines après). Depuis une réforme portée par le président Macron et entrée en vigueur en juillet 2021, la durée du congé paternité a été doublée : elle est désormais de 28 jours contre 14 jours auparavant. Un progrès, certes, mais qui a ses limites : sur ces 28 jours, seuls 3 sont obligatoires. Pour un pays qui a fait de l’égalité femmes-hommes sa « grande cause nationale », nous sommes encore loin des avancées de nos voisins européens.
En Norvège, des papas qui paternent
En Espagne, le congé paternité est passé de 6 semaines à 16 semaines de 2019 à 2021, soit un alignement parfait avec le congé maternité.
Dans les pays scandinaves, tout est également organisé pour atteindre la parité, sans enlever de droits à la mère, mais en favorisant l’implication des pères.
Faisons un tour en Norvège justement. J’y ai filmé pendant plusieurs mois mon ami d’enfance Tristan Champion, dans un documentaire diffusé récemment sur la chaîne TEVA.
Marié à une Norvégienne, Tristan est parti vivre un temps à Oslo, peu avant la naissance de son deuxième enfant. Il occupe alors un poste de cadre dans une grande entreprise de café. En apprenant sa grossesse, sa compagne joue cartes sur table : Tristan doit s’adapter aux mœurs de son nouveau pays d’adoption et s’arrêter 5 mois seul avec son bébé ! À Oslo, le congé paternité est indemnisé à 100 % du salaire pour une durée minimum de 15 semaines, auxquelles s’ajoutent deux semaines incompressibles que l’employeur ne peut refuser à la naissance de l’enfant. Là où la Norvège fait figure de modèle avant-gardiste, c’est que ces 15 semaines ne peuvent être cédées en tout ou partie à l’autre parent (la mère dans la plupart des cas). Si le père ne les prend pas, elles sont définitivement perdues pour le couple.
Des avantages insoupçonnés
Pour comprendre à quel point le congé paternité allongé est une révolution sociétale, il suffit de lire le journal de bord de Tristan : « Dans un voyage en absurdie, Que je fais lorsque je m’ennuie, J’ai imaginé sans complexe, Qu’un matin je changeais de sexe, Que je vivais l’étrange drame, D’être une femme. »
Que vient faire Michel Sardou là-dedans ? « J’ai eu l’impression de ressembler à une femme enceinte qui annonçait à sa chef son congé maternité ! » confie Tristan. CQFD : tant que la présomption de maternité ne trouvera pas son équivalent dans la gent masculine, des postes et des promotions échapperont à des candidates à propos de qui les employeurs se diront : « Elle va me poser un congé d’ici 1 an alors que je viens de la recruter… »
Si l’allongement du congé paternité constitue une bonne nouvelle pour l’égalité professionnelle, elle est surtout une excellente nouvelle pour l’enfant, le couple, la famille, et pour le père lui-même !
Top 5 de ses avantages insoupçonnés, au-delà d’une plus grande proximité et d’un lien renforcé à vie avec l’enfant :
- Un père – seul- à la maison, c’est un père enfin conscient du quotidien d’une femme en 2023, avant, pendant et après un congé maternité. Prise en charge des tâches domestiques et de la routine du bébé, et plus globalement de la fameuse charge mentale, rien de mieux qu’un « vis ma vie » durant quelques semaines (ou mois) pour réaliser ce que sont réellement 24 heures de la vie d’une femme.
- Plus étonnant encore : un père qui s’occupe de son enfant, c’est un père qui vivra plus longtemps et en meilleure santé. Comme l’explique Brigitte Grésy, ancienne présidente du HCE (Haut Conseil à l’Égalité) les pères profitent souvent de la visite médicale de leur nourrisson pour consulter eux-mêmes. Une routine médicale qu’ils rechignent à faire en temps normal.
- On le sait peu, mais la dépression post-partum touche 1 père sur 10. Une étude récente de l’Inserm a démontré que là ou 5,7% des pères n’ayant pas pris de congé paternité rapportaient une telle dépression, ce n’était le cas que pour 4,5% des pères qui ont opté pour un arrêt prolongé.
- Prendre du recul sur son rapport au travail et sa conception de la « virilité ». Rester seul à la maison avec son enfant – et j’insiste sur le seul, sans autre parent ni nounou à ses côtés – c’est :
-réaliser que les réunions calées après 17h empoisonnent la vie des couples
-apprécier le temps libre après une journée de travail
-démystifier des tâches réputées « féminines » comme le changement des couches, la toilette du soir ou la préparation des biberons. - Enfin, une forte présence paternelle dans la première année de l’enfant réduit fortement les comportements agressifs de ce dernier, selon une étude norvégienne de 2014.
Et l'entreprise dans tout ça ?
L’entreprise a un rôle essentiel à jouer, à commencer par installer un climat favorable pour ces pères « nouvelle génération » qui continuent d’affronter des remarques désobligeantes au travail.
Pascal Van Hoorne, conférencier sur le sujet, en a reçu un florilège après la naissance de ses jumeaux. Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux que les mères supportent depuis des décennies… En voici quelques exemples :
« Tu m’as abandonné durant le mois de ton congé paternité »
« Mais je croyais que ta femme était à son compte. Elle ne peut pas gérer vos enfants malades à ta place ? »
« Tes considérations ménagères n’ont pas à interférer dans la vie de l’entreprise »
« Tu pars encore à 16h pour aller chercher ton fils à l’école ? Tu as pris un RTT aujourd’hui ! »
Épuisés par ces remarques d’un autre temps, des pères ont même déclaré avoir été sanctionnés par leur entreprise suite à leur congé, regrettant leur choix pour certains, comme l’a révélé une récente enquête du Parisien.
Inacceptable, et surtout, illégal. L’entreprise doit non seulement installer un cadre bienveillant pour ses salariés, mais elle peut aussi aller plus loin, en adoptant quelques bonnes pratiques :
- En maintenant à 100% le salaire de ses employés pendant toute la durée du congé paternité. Tant que les hommes gagneront en moyenne 23% de plus que les femmes, congé paternité ne peut rimer avec précarisation financière du couple.
De nombreuses conventions collectives le proposent déjà, comme celles du Bureau d’études techniques et des sociétés de conseils. En 2020, 105 entreprises, sans attendre la réforme, s’étaient déjà engagées à indemniser à 100% un mois de congé paternité. - En proposant un congé paternité plus long que les 28 jours existants, voire même égal au congé maternité. Emmanuel Chain, que nous avons connu à la présentation du magazine TV Capital et désormais chef d’entreprise, s’est engagé récemment en ce sens pour sa société de production Éléphant. Un précurseur ?
- En valorisant des rôles modèles, lors de conférences par exemple, et notamment ceux qui occupent les plus hautes responsabilités. Si l’exemple ne vient pas d’« en haut », les hommes continueront de craindre la réaction de leur hiérarchie. Ainsi, lors de l’événement Le 8 mars la puissance du lien, l’animatrice n’a pas hésité à démarrer un panel en questionnant Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes, sur sa paternité (il a un enfant de 5 ans), lui demandant si cela avait changé sa vie et comment.
A ce jour, il est encore trop tôt pour tirer un bilan de la réforme récente du congé paternité. Seule certitude : ceux qui se sont saisis de la réforme prennent généralement la quasi-totalité des 25 jours proposés.
En attendant la parité parfaite, et si l’État commençait par un alignement du congé paternité sur le congé postnatal obligatoire de six semaines ? Le coût d’une telle réforme serait d’1,26 milliard d’euros pour les finances publiques, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), soit seulement un tiers du budget alloué par l’État à France Télévisions par exemple.
Il ne tient qu’à nous de faire pression sur nos élus pour atteindre cet objectif.
Nous nous retrouverons alors pour la suite de mon documentaire, où je filmerai dans les rues de Lyon, Paris ou Poitiers, ce bal de vikings à poussettes que j’ai pu capturer à Oslo et qui me fait toujours autant rêver !
Illustration : un grand merci à Jon Krause