Ouvrez-nous votre portefeuille, dites-nous ce qu’il y a dedans ?
Véronique Morali : J’ai deux portefeuilles. Une petite pochette en toile signée Terrafemina dans laquelle je mets mon argent liquide et un porte-cartes en cuir taupe de la marque Hermès. La pochette date de 2008 et elle est très symbolique pour moi, car elle remonte à l’époque où je montais mon entreprise. A l’intérieur, on trouve quatre billets de cinquante euros et quinze euros en pièces. Je veille à toujours avoir un peu de liquide sur moi par sécurité.
Etes-vous plutôt cigale ou fourmi ?
V.M. : Les deux. J’ai une notion très ancrée de prudence vis-à-vis de l’argent. Cela ne m’empêche pas de me faire plaisir ou de faire des cadeaux aux autres. Je suis assez consumériste, j’adore les sacs, les vêtements. Je me fixe des limites mais je ne suis pas tout le temps dans la retenue. Si j’ai envie de quelque chose, je l’achète.
D’où vient cette prudence ?
V.M. : J’ai toujours vu mes parents faire très attention. Ma mère était secrétaire et mon père ingénieur. On n’a jamais manqué de rien mais on n’avait pas des moyens exubérants. Mes parents ont toujours tout compté parce qu’ils avaient peur de manquer. C’est un héritage de la guerre. J’ai gardé cette prudence mais j’essaye d’être plus équilibrée, d’avoir une gestion réaliste de mes ressources sans me priver.
Vous souvenez-vous de votre premier salaire ? Comment l’avez-vous dépensé ?
V.M. : Ce n’était pas un salaire complet. J’étais encore étudiante à Sciences-Po quand j’ai commencé à piger pour le journal Vie Publique destiné aux collectivités territoriales. Avec l’argent, je crois que je me suis acheté un vêtement, quelque chose d’assez frivole pour me faire plaisir.
Votre dernier achat fou ?
V.M. : Une veste Courrèges 3/4 en vinyle. Une pièce vintage assez unique que j’ai trouvée sur le site américain The RealReal. On y trouve des pièces de luxe à des prix intéressants. Donc ça ne compte pas vraiment comme un achat fou (rires).
Ce que vous rêveriez d’acheter mais que vous n’osez pas ?
V.M. : Une belle œuvre d’art comme un tableau. J’aime beaucoup les artistes contemporains comme James Turrell. Mais c’est un investissement et un pari sur l’avenir. Il faut avoir le nez creux. Par prudence, je n’achèterais pas forcément.
La dépense qui vous fait du bien ?
V.M. : Un joli sac évidemment ! Ou inviter mes deux filles à déjeuner ou à dîner.
Quand et comment l’argent est-il entré dans votre vie ?
V.M. : Par le travail, aucun doute là-dessus. Je n’ai pas hérité, c’est en travaillant et en creusant mon sillon que l’argent est entré dans ma vie.
On vous demande de l’argent dans la rue, que faites-vous ?
V.M. : Cela dépend de la posture de celui qui demande. Quand c’est trop systématique, ça ne donne pas envie de donner. Mais il arrive que je sois touchée par la personnalité ou la manière de demander de quelqu’un, dans ce cas je donne quelque chose.
Est-ce que vous donnez régulièrement ? A quelles associations ?
V.M. : Je donne principalement à mon association Force Femmes qui aide les femmes de plus de 45 ans à s’insérer sur le marché de l’emploi. C’est la cause qui me tient le plus à cœur. Après, je peux donner pour un gala, mais cela dépend des rencontres et des coups de cœur.
Dans votre couple, faites-vous un portefeuille commun ? Qui paie quoi ?
V.M. : Je n’ai jamais fait compte commun avec un homme. Par souci d’autonomie, et d’indépendance. Je trouve que c’est tue-l’amour de voir les dépenses de l’autre, ça enlève de la spontanéité. Au sein du couple, il faut garder une certaine souplesse : celui qui gagne plus donne plus. Cela peut changer au cours de la vie mais je ne crois pas au mode de fonctionnement mathématique où l’on partage toutes les dépenses à égalité. La vie ne fonctionne pas comme ça !
Votre « cash modèle » féminin ?
V.M. : Je n’aime pas cette expression car la réussite d’une femme ne se mesure pas à sa capacité à amasser de l’argent. Beaucoup de femmes dans l’associatif sont des modèles et n’ont pas beaucoup d’argent. Je me suis bâti mon propre modèle, j’ai fait mon chemin avec mes moyens, ma ténacité et mes doutes. L’argent est un moyen pour accéder à l’autonomie et l’indépendance, mes deux grands principes de vie.
Un achat inutile pour vous c’est quoi ?
V.M. : Un objet du quotidien trop cher par rapport à son usage. Aujourd’hui, je n’achèterais pas de voiture par exemple. J’utilise la mienne de moins en moins car j’essaye de changer mon mode de vie. Si on peut se passer de quelque chose de polluant c’est mieux, et puis j’adore marcher.
Comment aimeriez-vous payer demain ?
V.M. : Avec mon téléphone ! Même s’il faut faire attention. La concentration des moyens de paiement, c’est séduisant, mais il faut toujours garder une alternative pour ne pas se retrouver dépourvu. C’est mon côté pragmatique !
L’Europe lance un nouveau billet, vous avez le choix de la personnalité qui y figurera. Qui choisissez-vous ?
V.M. : Personne ! Avec les nouveaux moyens de paiement dématérialisés, ça ne sert plus à rien d’incarner l’argent. L’argent est un instrument, il ne faut pas le personnifier. Il permet de rendre la vie quotidienne agréable et de se faire plaisir de temps en temps.
Vous trouvez un billet de 50 euros dans la rue, vous en faites quoi ?
V.M. : Je le garde ! Il faut savoir accepter les cadeaux de la vie. Je sais que je le rendrai d’une manière ou d’une autre à travers mes engagements.
Le meilleur conseil sur l’argent que vous ayez reçu ?
V.M. : Je me suis forgé ma propre philosophie là-dessus. Mes parents, qui n’étaient pas sereins par rapport à l’argent, m’ont transmis une forme d’anxiété fondamentale. J’ai toujours cherché à sécuriser mon avenir et celui de mes deux filles. L’argent permet de ne pas dépendre des autres, de se projeter dans l’avenir plus sereinement. C’est important surtout quand on approche de la retraite.
Celui que vous aimeriez donner aux femmes ?
V.M. : Les femmes doivent se constituer leur propre patrimoine, pas pour accumuler des biens mais pour sécuriser leurs vies. Je conseille aux jeunes femmes de réfléchir à cette notion d’épargne productive dès qu’elles commencent à travailler. Il n’y a rien de magique ou de sorcier à s’acheter un appartement seule. Je vois beaucoup de femmes qui n’y ont jamais réfléchi et qui se trouvent dépourvues.
Qu’est-ce qui, selon vous, freine encore les femmes ?
V.M. : La notion de couple prime encore trop sur la notion du « pour soi ». Lorsque le couple se sépare, les femmes sont souvent perdantes car elles gagnent moins. La vie des femmes est faite d’aléas et de précarité. Je le vois au sein de mon association Force Femmes, passé 40 ans c’est plus difficile de retrouver un boulot. Si on n’a rien pour soi, on peut se retrouver démunie.
Une journée sans portefeuille, ça ressemble à quoi ?
V.M. : C’est une journée où je ne sors pas. Il y a des tas de journées sans portefeuille, mais dès que je sors, il est avec moi.
Dans quel portefeuille aimeriez-vous vous glisser ?
V.M. : Ce n’est pas dans ma nature, et me gênerait presque.
Illustration : Un grand merci à Marie Lemaistre et Fllow