Que peut-on espérer au vu des programmes et promesses des deux candidats en lice ? Emmanuel Macron a pour lui un bilan, contesté par les associations féministes, mais il peut se targuer de quelques marqueurs économiques significatifs – notamment le lancement de l’index égalité femmes-hommes en 2019, l’instauration à la mi-2021 d’un congé paternité de 25 jours et l’adoption fin 2021 de la loi Rixain pour la mixité dans les instances de direction des entreprises. Marine Le Pen se présente sur ses affiches en « femme d’État », raconte volontiers que, divorcée, elle a dû élever seule ses trois enfants, mais elle n’a jamais brillé par son engagement en faveur des femmes. Son parti non plus, le RN ayant systématiquement voté contre les lois en faveur des droits des femmes (renforcement du droit à l’avortement, égalité salariale), que ce soit au Parlement européen ou à l’Assemblée nationale.
“ Quatre leviers qui changeraient la donne ”
Que peut-on faire pour améliorer l’indépendance économique des femmes ? Je vois au moins quatre leviers qui changeraient la donne.
1. L’orientation scolaire et professionnelle des jeunes filles, à l’heure où celles-ci restent minoritaires dans les filières scientifiques et techniques qui mènent aux métiers les plus prometteurs, en termes de recrutement et de rémunération : on compte seulement 28 % de femmes dans les écoles d’ingénieurs et 25 % dans les filières du numérique ;
2. La revalorisation des métiers dits féminisés – les femmes représentent 97,7 % des aides à domicile, 86,6 % du personnel infirmier, 77,7 % des professions intermédiaires de la santé et du social, 70 % des agents d’entretien et 66 % des professeurs des écoles ;
3. L’accompagnement de la maternité et de la parentalité, sachant que 85 % des familles monoparentales sont composées d’un parent qui est une femme ;
4. Le niveau des retraites – rappelons qu’en France les retraitées touchent environ 33 % de moins que les hommes des mêmes générations. L’écart est même de 41 % si l’on ne tient pas compte des pensions de réversion.
Faire progresser la part des femmes dans les filières scientifiques, techniques et mathématiques
L’orientation des jeunes filles vers les métiers d’avenir est un enjeu crucial pour l’indépendance économique des femmes. Le gouvernement Macron s’est montré sensible au sujet en commandant en 2019, par la voix du ministre de l’Économie Bruno Le Maire et de la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa, un rapport pour améliorer la place des femmes dans les STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Confié à Chiara Corazza, alors directrice générale du Women’s Forum, et remis en janvier 2020, ce rapport a formulé 27 recommandations pour faire progresser la part des femmes dans les filières scientifiques, techniques et mathématiques. Certaines d’entre elles ont inspiré des mesures de la loi Rixain : ainsi l’obligation pour les établissements d’enseignement supérieur et les établissements publics de recherche de publier d’ici deux ans un index d’égalité des chances entre les femmes et les hommes ou encore l’obligation pour les jurys de sélection de compter au moins 30 % de femmes (le rapport de Chiara Corazza recommandait d’imposer la parité dans les jurys de sélection et comités d’évaluation des concours des écoles publiques et privées spécialisées dans les STIM d’ici 2025).
La réforme du baccalauréat mise en place à la rentrée 2019 par Jean-Michel Blanquer a en revanche eu des effets négatifs sur l’orientation des filles. Les mathématiques n’étant plus obligatoires en première et en terminale, les lycéennes déjà peu encouragées à choisir les filières scientifiques s’en sont détournées. En 2021, seules 40 % des filles en terminale suivaient encore la spécialité mathématiques. Marine Le Pen a annoncé vouloir revenir aux « mathématiques pour tous ». De son côté, le candidat Macron propose de réintroduire les maths dans le tronc commun au lycée et de créer une demi-journée « avenir », de la 5e à la 3e, avec notamment des cours de code informatique – en France 27 % des codeurs sont des codeuses.
Aux États-Unis, le Inspire Women Act, promulgué en 2017, vise à encourager les femmes à choisir les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques, en impliquant notamment la NASA pour qu’elle contribue à constituer une nouvelle génération de femmes engagées dans l’aéronautique et le spatial.
Augmenter les salaires dans les métiers du soin et de l’enseignement
La revalorisation des métiers féminisés s’est imposée comme une priorité après la crise sanitaire qui a montré à quel point les femmes étaient en première ligne pour soigner les autres, protéger les plus fragiles, encadrer et éduquer les plus jeunes. Avec une première augmentation mensuelle des salaires pour l’ensemble des personnels hospitaliers de 183 euros net, entrée en vigueur fin 2020, le Ségur de la santé, conclu en juillet 2020, a conduit à la revalorisation salariale de tous les personnels au contact des patients, à laquelle s’est ajoutée une prime d’engagement collectif de 100 euros net par mois. Les sages-femmes ont obtenu une prime d’exercice médical de 240 euros net par mois et une augmentation salariale de 78 euros net en moyenne. Marine Le Pen veut revaloriser les salaires des personnels soignants exerçant à l’hôpital, y compris ceux non concernés par le Ségur de la santé. Elle prévoit d’y consacrer 2 milliards d’euros sur cinq ans. A titre de comparaison, le Ségur de la santé fixe 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les métiers dans les établissements de santé et les EHPAD.
Pour ce qui est des enseignants – en majorité des enseignantes – la candidate du Rassemblement national annonce dans son programme que « les salaires des enseignants du primaire au lycée seront revalorisés de 3 % par an pendant 5 ans, soit une augmentation de plus de 15 % sur le quinquennat ». Emmanuel Macron, lui, préfère proposer aux enseignants un pacte : de nouvelles missions en échange d’une hausse de leur rémunération. A l’issue du Grenelle de l’éducation, son gouvernement a décidé de consacrer 400 millions d’euros en 2021 puis 700 millions d’euros à la revalorisation salariale des enseignants. Une prime d’attractivité a aussi été accordée aux enseignants en REP et REP +.
A l’étranger, des revalorisations massives ont déjà été engagées dans certains pays pour des métiers féminisés. Au Québec, en 2005, c’est une hausse salariale de 14 % sur six ans qui a été accordée aux infirmières. Cela a coûté 1 milliard de dollars et a été financé en gelant le salaire des fonctionnaires. Quant à la Nouvelle-Zélande, elle a procédé en 2020 à une augmentation historique de près de 30 % du salaire des aides-enseignantes qui sont majoritairement des femmes. En 2017, ce même pays avait accordé des augmentations de salaire de 15 à 50 % pour 55 000 professionnels du care.
Permettre aux femmes de poursuivre leur carrière tout en devenant mère
L’accompagnement à la maternité et à la parentalité constitue un élément clé pour permettre aux femmes de poursuivre leur carrière tout en devenant mère. Sur ce sujet, Emmanuel Macron a marqué des points avec deux réformes phares : l’allongement du congé paternité à 28 jours, dont une semaine obligatoire, depuis le 1er juillet 2021, et la création d’un service public des pensions alimentaires, afin d’en assurer le recouvrement par la CAF en cas d’impayés au conjoint bénéficiaire (une réforme inspirée du Québec). Avec ces deux mesures, la France progresse mais reste loin des pays scandinaves pour ce qui est du congé paternité : ainsi, en Finlande, il atteint 9 semaines, dont 3 en même temps que la mère, et en Norvège c’est même 15 semaines ! Héritière d’un parti de tradition patriarcale, avec une approche nataliste, Marine Le Pen propose d’instaurer une part fiscale pleine, contre une demi-part actuellement, pour le deuxième enfant, afin d’encourager les familles françaises qui souhaitent s’agrandir. Par ailleurs, elle promet d’augmenter l’allocation de soutien familial pour les mères célibataires de 116 euros par mois aujourd’hui à 230 euros. Dans son programme, Emmanuel Macron propose de l’augmenter de 50 %. Il veut aussi créer un droit opposable à la garde d’enfants jusqu’à 3 ans. Cette mesure était l’une des recommandations du rapport de l’universitaire Julien Damon et de la dirigeante Christel Heydemann (désormais à la tête d’Orange) remis en octobre dernier au gouvernement ; elle existe déjà dans les pays scandinaves et a été instaurée en 2013 en Allemagne. Il s’agit d’un droit à un service de garde de petite enfance comme il existe un droit à la scolarisation. Le même rapport préconisait aussi un congé parental renforcé, moins long (six mois) mais mieux indemnisé.
Revaloriser le montant des retraites notamment pour les femmes
Le niveau des retraites des femmes reste l’une des inégalités les plus criantes de notre société. Conséquence de métiers moins bien payés, de temps partiels plus fréquents et de carrières hachées par la maternité, les femmes se voient extrêmement pénalisées quand elles cessent leur activité professionnelle. Les femmes représentent ainsi 76 % des retraités vivant sous le seuil de pauvreté (soit moins de 1 550 euros par mois pour les couples et moins de 1 102 euros par mois pour une personne seule). Emmanuel Macron propose de porter dès 2023 la pension minimale à 1 100 euros par mois pour les personnes ayant accompli une carrière complète. Marine Le Pen veut quant à elle porter le minimum vieillesse à 1 000 euros par mois ; il est actuellement de 916,78 euros par mois. Elle affirme également vouloir réinstaurer la demi-part fiscale supplémentaire attribuée aux veuves et aux veufs afin d’augmenter les petites retraites.
Avoir des femmes actives et écoutées dans l’entourage de ceux et celles qui gouvernent
Comment être sûrs que nos politiques prennent vraiment en compte les problématiques des femmes ? Si l’on en croit l’association Osez le féminisme, qui a passé au tamis de l’égalité femmes-hommes les programmes des candidats à la présidentielle, celui de Marine Le Pen se retrouve en bas du classement dans la catégorie « misogyne » (« il instrumentalise la question des droits des femmes à des fins racistes » estime l’association) tandis que Emmanuel Macron aurait pratiqué « un féminisme de façade », la grande cause du quinquennat n’ayant pas été suivie de mesures fortes ni accompagnée d’un budget suffisant.
Au-delà des promesses électorales des candidats, un facteur très important est la présence de femmes actives et écoutées dans leur entourage. Si 47 % des députés LREM à l’Assemblée nationale sont des femmes, à l’Elysée, le staff d’Emmanuel Macron est resté majoritairement masculin, que ce soit dans la gestion de la crise Covid ou de la guerre en Ukraine, malgré un effort pour constituer un gouvernement paritaire et nommer des femmes à des postes clés, dans la fonction publique ou à la tête d’entreprises publiques. La présence à la tête du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes de Marlène Schiappa puis Elisabeth Moreno, deux femmes particulièrement engagées et déterminées sur le sujet, peut être saluée. Mais dans le cadre de sa campagne électorale éclair, le président candidat a fait essentiellement confiance à des hommes, à une exception près – son épouse, Brigitte. Du côté de Marine Le Pen, le constat n’est pas meilleur : son équipe de campagne serait composée de 7 hommes et… aucune femme.
Des raisons d’espérer ? Depuis les dernières élections législatives de 2017, l’Assemblée nationale compte 38,7 % de femmes, et dans les cabinets ministériels du gouvernement Castex elles sont 40 %. Ce sont aussi ces femmes, élues ou conseillères, qui peuvent faire bouger les lignes, avec toutes celles engagées sur le terrain, des associations aux entreprises.
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow
Merci à Catherine Laurent et Manon Maurel pour leurs recherches sur les programmes des candidats et les initiatives à l’étranger.