Je ferais peut-être comme De Niro dans le film Le nouveau stagiaire, dans lequel il teste de nombreuses activités créatives et sportives avant de trouver sa voie d’accomplissement dans la reprise d’emploi au sein d’une start-up. Ce qui est sûr, c’est que je me donnerais du temps pour me demander ce que je désire réaliser pendant ce temps de vie, qui reconfigurera mon quotidien.
“ Ce moment de vie fait souvent émerger des questionnements ”
La retraite n’est pas un moment de vie neutre. Elle instaure un certain nombre de modifications, que cela soit en termes de ressources financières, d’organisation du temps ou de reconfiguration des liens sociaux. Ce moment de vie fait souvent émerger des questionnements sur le choix des loisirs, sur les envies de partage en famille et/ou avec des proches, sur le démarrage d’une activité bénévole, etc. L’entrée à la retraite peut ainsi être un moment déclencheur pour ouvrir le champ des possibles afin de trouver ce qui nous correspond le mieux. Mais pouvoir penser sa retraite, aspirer à mener à bien des projets, se lancer dans la réalisation de rêves parfois laissés de côté, n’a pas toujours été possible.
En effet, il faut percevoir la retraite comme l’obtention d’une revendication sociale importante qui a marqué une époque, celle du milieu du 20ème siècle. Mariette Darrigrand, sémiologue et dirigeante du cabinet Des Faits et des signes, explique l’étymologie de ce terme : « Le mot retraite est issu de deux branches qui ont été réunies en un seul mot. La première est spatiale et signifie « en arrière, se tirer en arrière ou sur le côté, se retirer, faire un mouvement dans l’espace ». C’est une mise en retrait du monde, qui peut aussi permettre de prendre le temps de préparer une action. Et la deuxième est liée à l’argent. On touche une rémunération comme la traite du soldat, la somme que l’on touche lorsqu’on ne travaille plus. En français les deux mots – l’un immatériel, l’autre matérialiste – se sont amalgamés pour n’en former qu’un. »
Ce mot « retraite » prenait tout son sens en 1946 où l’espérance de vie n’était que de 60 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes. A l’époque, l’âge légal de départ à la retraite était à 65 ans. Le temps de la retraite était donc très court et ne permettait pas à l’individu de se projeter et d’élaborer des projets de vie. Le mode de vie dominant était alors celui du repos et du repli sur la sphère privée.
“ Cette révolution de la longévité est impressionnante, elle change le sens et les modes de vie ”
Aujourd’hui la situation n’est plus du tout la même. A 65 ans, l’espérance de vie s’étire de 19 à 23 ans selon qu’on est un homme ou une femme. Cette révolution de la longévité est impressionnante, elle change le sens et les modes de vie envisageables des retraités. Toutefois, il est important de ne pas oublier que la retraite n’est que la somme des conséquences des parcours de vie. Ainsi, les ouvriers vivront une vie plus courte avec des conditions de santé plus complexes que les cadres.
Néanmoins, quelle que soit la catégorie sociale de l’individu, tout le monde se pose des questions sur cette transition de vie. Dans une étude réalisée sur la transition travail–retraite et les modes de vie des jeunes retraités, j’avais analysé que plus les individus ont la possibilité de penser leur retraite en amont, mieux elle sera vécue. La transition est alors jugée plus aisée si elle a été préparée. C’est aussi ce qu’explique Patricia Barbizet dans une conférence donnée pour le Club Landoy. Elle a commencé très tôt à prendre conscience de l’importance de ce moment de vie en voyant des collaborateurs partir en retraite. Elle s’est ensuite demandé tout au long de sa carrière : et si la retraite c’était demain, qu’est-ce que je ferais ? Cela lui a permis de semer des graines en fonction de ses aspirations.
“ Bien vivre à la retraite revêt d’abord une signification économique ”
Au même titre que l’on se prépare quand on décide de changer de perspectives professionnelles, où l’on prend le temps de maturer son choix et que l’on peut s’appuyer sur des professionnels pour nous orienter au mieux, il faut penser sa retraite. Il y a des moments de vie qui ont besoin d’être appréhendés, réfléchis, éclairés à la lumière de ce que l’on désire clairement. Souvent, le premier point abordé dans la préparation est celui des finances. L’ajustement des dépenses en lien avec le montant de la pension de retraite est un paramètre prépondérant. Les résultats récents d’un baromètre ont montré que bien vivre à la retraite revêt d’abord une signification économique. Pour 54 % des répondants, il s’agit de disposer de revenus suffisants. L’enjeu du pouvoir d’achat est donc central. Quand on sait que la retraite moyenne est aux alentours de 1 500 euros brut, certaines personnes doivent envisager de cumuler un emploi et une retraite ou de continuer à travailler quelques trimestres supplémentaires pour pouvoir bénéficier d’une pension suffisante. Des start-ups se sont lancées dans la mise en lien entre des experts seniors et des entreprises pour pallier ce besoin financier ou juste pour répondre à l’envie de participer à une activité professionnelle.
“ La retraite est finalement le temps d'être soi, d’être libre de choisir ”
Une fois ce socle établi, on peut commencer à se projeter : que souhaite-t-on vivre, découvrir, transmettre ? Vers quelle(s) activité(s) a-t-on envie de tendre en matière de loisirs, de citoyenneté, de vie associative ? Doit-on accompagner des parents qui vieillissent et comment le faire ? A-t-on envie de s’occuper de ses petits-enfants ? Dans quel lieu veut-on vivre et avec qui ou auprès de qui ? Quel sens donner à ce temps de retraite ? Quel temps garder pour soi et pour accueillir l’inconnu ? Comment trouver des lieux ou des moments pour échanger avec d’autres générations ? Quelle transition travail–retraite mettre en place ?
Cette dernière question est particulièrement importante à se poser, pour anticiper la rupture avec la vie professionnelle en essayant d’aller vers une transition douce permettant de diminuer peu à peu son temps de travail et surtout ne pas subir le « couperet », ce passage brutal entre un jour au travail et le lendemain à la retraite. Des modalités existent comme le mécénat de compétence ou la retraite progressive.
“ Il n’est jamais trop tard pour se lancer dans de nouvelles aventures ”
Finalement, les possibles sont multiples : apprendre à faire de la moto, s’occuper de ses petits-enfants ou de ceux de son nouveau compagnon, apprendre la permaculture, prendre des cours de poterie, partir vivre 3 mois à Lisbonne, reprendre une activité professionnelle, utiliser ses compétences dans une activité bénévole, s’ouvrir à de nouvelles rencontres, prendre du temps pour contempler et être présent au monde… Selon une étude de Disons Demain réalisée avec Kantar, 43 % des femmes de plus de 50 ans déclarent que lorsqu’elles seront à la retraite, elles continueront de travailler sur un sujet qui les passionne vraiment, et 16 % déclarent même qu’elles ont envie de monter leur entreprise. La retraite est finalement le temps d’être soi, d’être libre de choisir, de vivre sans contrainte quand on le peut, de savoir dire non, de continuer à désirer, de se sentir utile pour quelque chose ou pour quelqu’un, de créer un rapport au temps plus souverain.
Tous ces choix ne sont pas figés. Bien au contraire, la retraite est aussi le temps de l’expérience, où les envies se construisent, se modifient, et peuvent se réfléchir au moment de la préparation à la retraite, de la transition travail–retraite, voire de façon évolutive tout au long de la retraite. Chaque individu peut ainsi instaurer un mode de vie en adéquation avec son parcours de vie et ses aspirations afin de créer jour après jour une retraite épanouie.
Voir des individus dessiner une retraite qui leur ressemble, c’est à la fois se dire qu’il n’est jamais trop tard pour se lancer dans de nouvelles aventures et pour continuer à construire une vie en adéquation avec nos envies et désirs, et c’est aussi se dire que dès maintenant on peut agir pour créer les conditions d’une vie épanouie. Car vieillir, au final, c’est peut-être tout simplement vivre !
Illustration : un grand merci à Rokovoko